dimanche 10 juillet 2016

Coup de coeur - Passé imparfait de Julian Fellowes


Titre du livre : Passé imparfait
Auteur : Julian Fellowes
Editions : 10-18
Genre : roman historique
Date de sortie : juin 2015
Pages : 646
Thèmes : haute société britannique, aristocratie, souvenirs, passé, nostalgie, jeunesse dorée, sixties

Résumé éditeur : Une invitation de Damian Baxter ? Voilà qui est inattendu ! Cela fait près de quarante qu’ils sont fâchés ! Inséparables durant leurs études à Cambridge, leur indéfectible amitié s’est muée en une haine féroce, suite à de mystérieux événements survenus lors de vacances au Portugal en 1970. Après de déconcertantes retrouvailles, la révélation tombe : riche, à l’article de la mort, Damian charge le narrateur, sur la foi d’une lettre anonyme, de retrouver parmi ses ex-conquêtes – six jeunes filles huppées qu’ils fréquentaient alors – la mère de son enfant. Un voyage vers le passé plein de fantômes et de stupéfiantes révélations… Avec une verve élégante, le créateur de la série Downton Abbey signe un portrait au vitriol de l’aristocratie anglaise bousculée par les sixties.
« La vraie affaire de Fellowes, c’est le milieu qui l’a vu naître : l’aristocratie anglaise. (…) Un régal aux senteurs surannées, comme les Anglais en ont le secret. »
Les Inrockuptibles

Mon avis :  
Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai énormément aimé. L’auteur Julian Fellowes est le créateur de la série télé Downtown Abbey qui est une série que j’aime à la folie et qui fait partie de mon top 5 de mes séries préférées.

Le titre Passé imparfait porte très bien son nom puisqu’il évoque exactement ce dont va parler le livre. L’auteur nous propose un véritable voyage dans le passé. Nous sommes en Angleterre dans la haute société britannique entre le présent des années 2000 et le passé des années 60-70. A cette époque les grandes familles aristocrates sont confrontées aux limites de leurs mode de vie, du fait des bouleversements de la société avec le libéralisme et les sixties.

J’ai adoré ce livre mais je préfère vous prévenir ; l’histoire de l’Angleterre et l’aristocratie britannique sont des thèmes qui m’intéressent énormément à la base. Si vous n’avez pas d’intérêt pour ces thèmes vous risquez de trouver le livre long, il n’y a pas beaucoup d’actions mais personnellement le rythme m’a convenu. Il est certes lent mais convient bien à l’introspection que fait le narrateur sur son propre passé et à la narration des souvenirs.

Les personnages principaux sont des hommes et des femmes qui avaient la vingtaine dans les années 70 et on les retrouve donc maintenant dans le moment présent, ils ont tous la cinquantaine. Finalement le récit est centré autour d’un petit groupe de jeunes gens de la haute société qui se sont fréquentés lors de la Saison (période durant laquelle les jeunes gens privilégiés sont introduits dans la bonne société et où ils doivent se placer souvent sous la pression des parents, pour assurer leurs avenirs. Période rythmée par les bals, et les soirées mondaines).
Parmi ce petit groupe représentatif de la jeunesse dorée londonienne de l’époque, nous rencontrons la princesse du petit royaume de Moravie, des riches héritières, filles et fils de bonne famille, et puis nous avons nos deux personnages principaux : le narrateur et Damian Baxter.
On ne connaît pas grand-chose du narrateur, on ne connaît pas son nom, on sait juste qu’il fait partie de la haute société et qu’il est écrivain. On sait aussi que c’est lui a introduit le fameux Damian Baxter dans leur groupe d’élite sociale. Damian Baxter quant à lui ne fait pas partie de leur monde mais réussit à s’y faire inviter notamment grâce à son pouvoir de séduction qu’il exerce sur ses jeunes femmes aristocrates. Il est séduisant, intelligent, un peu manipulateur, et considéré comme un arriviste dans ce milieu fermé. Ces deux hommes sont amis dans les sixties mais on apprend dès le début que leur amitié a été brisé lors d’un voyage du groupe au Portugal en 1970. Malgré plusieurs références à cet événement mystérieux tout au long du roman, il ne sera révélé qu’à la toute fin de l’histoire, ce qui attise la curiosité du lecteur.

Nous sommes dans le présent dans les années 2000, Damian Baxter qui est devenu richissime car il a réussi dans les affaires, est atteint d’un cancer, il lui reste 3 mois à vivre. A l’article de la mort, il veut finalement donner suite à une lettre anonyme qu’il a reçu 20 ans plus tôt l’informant qu’il avait eu un enfant avec une de ses aventures d’un soir avec une de nos nobles dames. Il souhaite retrouver son enfant inconnu afin de le coucher sur son testament. Il établit une liste de 6 femmes avec qui il a couché à la même période et qui pourrait correspondre. Il reprend contact avec le narrateur et le charge de mener à bien cette mission pour lui.

C’est sur cette intrigue que débute vraiment l’histoire. Le voyage commence pour le narrateur, un voyage à la fois physique à travers l’Angleterre et même à Los Angeles et c’est aussi et surtout un voyage dans les souvenirs de sa jeunesse passée, ainsi que celle de Damian. Il doit retrouver la femme qui a eu un enfant illégitime avec Damian, sa quête va donc l’entrainer en plein dans des secrets de famille.

Le récit est construit d’allers-retours entre présent (années 2000) et passé (1960-1970). Le narrateur replonge donc dans son passé et revient sur sa jeunesse au sein de la haute société londonienne et nous apporte son regard d’adulte sur les mœurs et les règles de vie de cette classe sociale élitiste.
C’est ce point de vue sur l’aristocratie qui est intéressant et passionnant, pleins de remarques piquantes et de réflexions sur ces gens jalonnent le roman. C’est un regard acide sur le mode de vie des aristos et leurs habitudes que nous propose l’auteur. Par exemple le code vestimentaire et le fait de devoir se changer plusieurs fois par jour, il dénonce l’hypocrisie des relations, les mères coureuses de bon parti pour leurs filles… Il reprend tout ce qui compose l’étiquette et les « bonnes » manières et les tournent en dérision.

Ce qui est original et que j’ai aimé, c’est que c’est un point de vue interne d’un homme qui fait partie du milieu et qui avec le temps a pris le recul nécessaire pour voir ce qui n’allait pas dans ce milieu. Il se permet de se moquer et il met le doigt sur le côté ridicule du mode de vie des aristos et il met en avant le gros décalage entre ce mode de vie là et la modernité. La société évolue tandis qu’eux ont du mal à s’adapter, ils sont parfois tellement à part qu’ils ne se rendent pas compte que leur façon de vivre réglée par l’étiquette est dépassée. C’est avec la voie d’élément perturbateur tel que le personnage de Damian Baxter que l’on va avoir des confrontations, et des séquences drôles.

Un des thèmes importants du récit est le changement. Effectivement c’est avec le recul des années que le narrateur va pouvoir faire son introspection. Il va se rendre compte lors de ses rencontres avec les personnes de la haute qu’il a connu des années auparavant que le temps a eu beaucoup d’effets. Des grandes familles riches qui étaient plus ou moins au top dans les sixties, certaines ont tout perdu et se retrouvent bien malgré elles contraintes à vivre de façon bien différente.

Au niveau des émotions il y a beaucoup à dire. Grace à la mission dont il est investi le narrateur va se rendre compte qu’il a été émotionnellement passif toute sa vie. Il a laissé passer son grand amour. Ce n’est qu’à l’âge de 50 ans qu’il va enfin connaître un moment d’amour et de bonheur intense ! Car oui dans ce roman il est aussi question d’amour et de regrets. C’est pour vous dire à quel point à cette époque la haute société est régie par le code ultime : le contrôle des émotions. Il est très mal vu dans cette société d’exprimer en public ses émotions. On est toujours dans la retenue, et encore une fois lorsque l’on a des éléments perturbateurs qui font des « scandales » lors de réceptions, on a droit à quelques situations comiques. Les femmes ne choisissent pas leurs maris, ce sont bien souvent des mariages de raison organisés par la famille où l’enjeu est forcément économique. Ainsi femmes comme hommes passent souvent à côté de l’amour et deviennent aigris avec le temps des regrets. C’est ce qu’on ressent à travers certains personnages de cette histoire.

Ce qui m’a beaucoup plu dans ce livre hormis les thèmes, c’est que l’auteur donne à voir cette haute société aristocrate avec un autre regard. J’ai trouvé une certaine complicité entre le lecteur et l’auteur. Le style corrosif m’a plu. Les descriptions sont bien fournies, on visualise les belles demeures, les grandes pièces et les magnifiques domaines. L’intrigue en soi n’est pas très originale mais j’ai quand même énormément aimé ma lecture car le contenu est très dense et intéressant. On sent que l’auteur est très documenté sur le sujet car le livre est très riche en informations.

L’auteur nous propose un véritable retour dans les souvenirs d’une jeunesse passée au sein de l’aristocratie à une période délicate pour leur « survie ».
Julian Fellowes propose une vision sombre et désenchantée de l’aristocratie britannique, mais on sent malgré tout de la nostalgie.
J’ai adoré ce livre pour son aspect historique d’un point de vue évolutif, c’est-à-dire qu’on suit l’évolution des personnages à travers les sixties jusqu’à nos jours. C’est un roman qui parle du passé et de ses effets sur chacun de nous. Comme je l’ai dit, l’action n’est pas omniprésente, ne vous attendez pas à des révélations et des rebondissements en folies. Il faut juste se laisser doucement porter de souvenir en souvenir.

Pour conclure :
Enfin un roman comme je les aime, avec du contenu, qui m’a fait passer un très bon moment. J’ai adoré être plongé dans ce monde de richesse et d’étiquette. L’auteur, en toute honnêteté mais avec une certaine nostalgie, égratigne l’image de l’aristocratie, monde impitoyable fait d’hypocrisie et de fausseté, de mensonges, et où tout est question d’apparences. Tout ça pour faire honneur à un nom ou à un titre et pour briller quoi qu’il arrive, prêts à tout pour assurer leur rang et rester au sommet en évitant à tout prix la honte et le scandale.
Passé imparfait est un roman savoureux où le monde très snob de l’aristocratie se confronte au sixties, synonyme de révolution intellectuelle, amour libre, drogues.

Citations / extraits :
« Ces gens qui veulent tout contrôler ont un effet paralysant autour d’eux, ils étouffent tout le monde, […]. Quand ils sont invités, ils sont incapables de se décontracter en public. Cela voudrait dire qu’ils éprouvent de la gratitude, et pour eux la gratitude est un signe de faiblesse. Ils sont également insupportables en tant qu’hôtes, notamment dans les restaurants où ils sont imbuvables envers les serveurs et les convives, et empoisonnent l’ambiance. Ils sont incapables d’admirer quelqu’un qui a mieux réussi qu’eux. Ils ne supportent pas les amis de leurs conjoints car ces gens extérieurs ne sont pas forcément enclins à reconnaître leur supériorité. Mais comme ils n’ont pas non plus d’amis personnels, ils finissent par considérer toute assemblée avec méfiance. Ils ne peuvent dire du bien de qui que ce soit puisque cela impliquerait de reconnaître de la valeur à cette personne et que ces censeurs fonctionnent en retirant à tous ceux qui les entourent la moindre valeur. Ils ne peuvent rien apprendre puisque cela demanderait de reconnaître que leur professeur en sait plus qu’eux et cela leur est impossible quel que soit le sujet. Et puis surtout ils sont barbants. Barbants à un point … » p.271

« Je m’étais vraiment demandé ce que j’allais voir du monde moderne en acceptant les quelques deniers de Damian. C’était peut-être un choc de découvrir qu’un certain mode de vie dont on n’avait cessé de nous dire dans les années 1960 qu’il était en train de mourir, était en fait tout à fait vivant et peut-être même plus courant qu’à l’époque. Je me considère comme ayant une certaine aisance et j’ai passé pas mal de temps dans des demeures qu’on peut estimer enviables, mais je commençais à comprendre qu’il ne s’agissait pas, comme avant, de quelque rare millionnaire vivant comme à l’époque edwardienne […]. Non, aujourd’hui il existe toute une classe de gens très riches aussi nombreux qu’à l’époque géorgienne et dont le mode de vie est toujours luxueux. La seule différence, c’est qu’à l’heure actuelle tout se passe derrière des portes opaques qui facilitent la représentation erronée qu’en font les médias. Le résultat c’est que […] cette nouvelle espèce ne ressent pas le besoin de diriger les masses publiquement, mais seulement dans l’ombre du trône. » p.389 et 390

« Je ressens une profonde nostalgie pour l’Angleterre de ma jeunesse et je trouve que nous avons beaucoup perdu, mais il faut aussi savoir reconnaître ce qui n’allait pas et pourquoi certains changements devaient absolument avoir lieu. » p.543
En quelques mots : 
Une excellente lecture d’une grande richesse. Une histoire fascinante « so british » faites de Lords et de Ladies aux destins imparfaits. L’auteur m’a bluffé par son style, son humour, et sa fin surprenante.
Ma note pour ce livre :
5/5 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire